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Le matelassier
À cette époque, le téléphone mobile restait encore à inventer. Du coup, comme l'insuffisance de téléphones fixes compliquait les communications à distance, prévenir de sa venue, en visite ou même en-
Avec le temps, nos matelas de laine perdaient de leur souplesse et de leur moelleux. Il fallait alors "le refaire" pour espérer continuer à passer de bonnes nuits, en toute quiétude. Pour cela, il convenait de contacter le matelassier. Nous, nous appelions Pépé, un très brave homme, ami de la famille. Il habitait un "patio" du Boulevard Bon Accueil, en partage avec la famille Belkheir et notre marchand de cycles, l'ancien coureur cycliste Aïssa, le père de Kader, notre copain de classe. Le moment où il venait à la maison, discuter et arrêter le prix de ce travail, s'avérait toujours être un grand moment de convivialité. L'anisette, évidemment tradition oblige, participait de la négociation.
Sur les conseils de Pépé, nous commencions par sortir "le colchon" ou "le matalaf," du lit. Nous employions parfois l'un de ces termes dans notre jargon franco -
Lorsque enfin la dernière opération de préparation prenait fin, Pépé survenait avec sa "boîte miraculeuse", sa femme et sa fille, Joséfa et Carmen, si je m'en souviens bien. Sur une grande bâche installée dans la cour commençait alors le cardage de la laine. La famille de Pépé la battait à l'aide d'un bâton et d'un fer rond. Petit à petit, voletant en flocons de neige, elle s'aérait et reprenait toute sa souplesse et son volume. La moitié de la toile étalée recevait alors la laine en dépôt, l'autre moitié la recouvrait.
Nous, les enfants, étions émerveillés devant tant de dextérité. Le plus surprenant, cependant, restait leur technique du bourrage de tant de laine, entre les deux tissus. En effet, la hauteur impressionnante, plus de cinquante centimètres, devait être réduite à vingt. Quelques épingles en pourtour de la toile, gonflée comme un "Bonhomme Michelin", avaient raison de ce volume. Alors commençait la lente et patiente besogne des couturières. Les petites mains des femmes reliaient par d'habiles points invisibles, avec du gros fil au bout de longues aiguilles courbes, les deux bords de la toile légèrement repliés vers l'intérieur. Depuis j'utilise quelquefois cette technique sans en connaître le véritable nom la désignant. Je demande expressément, ici, à mesdames les couturières, de bien vouloir m'en pardonner l'ignorance !
Ce travail méticuleux bien avancé, le matelas prenait alors allure d'énorme coussin. Il fallait rentrer les "oreilles" et coudre les nouveaux plis droits aux quatre angles pour en faire un parfait rectangle. Un bourrelet de deux centimètres de diamètre cousu sur le pourtour, supérieur et inférieur, finissait de lui donner son allure et sa tenue définitive. Cependant, avant de terminer, un fil au bout d'une longue aiguille traversait le matelas de part en part à intervalles réguliers, suivant un quadrillage savant. Un petit bout de tissu froissé à chaque extrémité tenait lieu de frein. Le matelas ainsi rembourré allait pouvoir tenir son rôle de générateur de sérénissimes nuits et de doucereux rêves.
Ce jour de réfection de la literie, pour nous, était un jour exceptionnel. Tout au long des heures, nous allions et venions, pour observer la famille de Pépé dans son travail. Pour ma part, je les ai tellement vus à l'œuvre qu'au cours de mon service militaire à la station météo de Lyon -
René ANIORTE : Valence, !e 13 novembre 2007